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Le patron qui avait de la merde dans les yeux
Le patron qui avait de la merde dans les yeux
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27 mai 2011

Mon premier jour

 

Poulopo se résumait à un grand bureau faisant office de showroom, de réserve à chaussures, de salle de réunion, de fumoir - oui ça sentait fort le tabac froid et à en voir l'état du sol, certains ont confondu la moquette avec un cendrier! Et puis au fait c'est pas interdit de fumer dans les lieux publics?- , et pour finir, Poulopo c'était accessoirement le siège social.

C'était une grande pièce où tout était entassé. Y'en avait partout, sur les tables, sous les tables, au sol, au mur, sur le rebord des fenêtres. Tout espace est exploité.

Et pour peupler ce foutoir, Jackie dit « The Boss», D.A.dit « le styliste » et l'assistante dit « moi »

Gravitant autour de nous deux boutiques et une équipe commerciale, basée au fin fond d'une zone industrielle, que je ne voyais quasiment jamais. Pour le copinage je repasserai.

Quand je découvre ma table de travail pour la première fois, je me suis sentie un peu paumée et déçue. C'était une table de bureau d'une autre époque couleur « pas propre » sans doute récupérée à une autre enseigne du Groupe, qui aurait eu la bonne idée de renouveler son mobilier. Sur cette table poussiéreuse, des montagnes de chemises cartonnées de toutes les couleurs, des échantillons de chaussures, de cuir, des accessoires en tout genre...Un téléphone datant de la même époque que ma table trônait au milieu de ce foutoir. Sûre que j'aurais fait des envieuses dans les années 70 avec ce « téléphone standard téléphonique »... Des morceaux de papiers autocollants tous de tailles différentes et collés un peu partout à côté des touches : standard, courrier, Corinne, Reprographie, Livraison, Maman, Patrick R, Patrick G, 1, 2, Galeries Lafayette, Printemps,...J'en avais le tournis. Quant au matériel informatique je me suis dit que, soit Poulopo s'est arrêté d'évoluer en 1978 et là ça craignait, soit ils ont d'autres priorités que le parc informatique et cela ne les a pas empêché d'être une marque haut de gamme à succès. J'opte pour cette dernière option. L'écran était énorme...pas énorme comme énorme écran plasma dernier cri mais plutôt énorme comme gros caisson gris qui prend la moitié de la place sur la table. L'écran était posé sur sa tour et j'ai constaté que celle-ci était munie d'un lecteur de disquettes. Génial et tellement vintage! Quant au clavier, la poussière et la saleté en avaient tellement pris possession que lorsque j'ai tenté d'appuyer sur les touches les premières fois, mes doigts sont restés collés. A côté du téléphone, un pot à crayon...semblable à ce que votre enfant de 5 ans vous rapporte un jour pour la fête des mères. C'était beau et coloré, un peu difforme, rond et carré à la fois, touchant et mignon quand ça vient de votre enfant. Là ça n'était pas le cas. Pratique et avec du potentiel toutefois car dedans s'y trouvaient des critériums par dizaine, deux agrafeuses, une règle, du tipex, des post its (tout au fond du pot), des agrafes (pareil, au fond), des stylos bleu, vert, rouge et une perforeuse! Incroyable que tout ça se soit casé dans un si petit pot. Incroyable.

En face de moi, le poste de Jackie qui était la réplique  quasi exact du mien illustrant bien là ses affirmations sur l'égalité de traitement chez Poulopo. Même bureau, même téléphone, même pot de crayons (même cadeau de fêtes des Mères?)...sauf qu'à la place du gros et lourd ordinateur , il y avait un ordinateur portable. Sinon tout pareil.

Comme Jackie avait son bureau en face du mien, elle se devait d'avoir l'air complètement investie de sa mission de Directrice Générale de Poulopo. Elle était totalement bordélique et avait un tas de papiers et dossiers éparpillés un peu partout soutenant son objectif de se montrer débordée. Elle avait toujours un bloc note sur lequel je suppose, elle devait rédiger toutes ses grandes idées.

Lors de ma première journée chez Poulopo, j'ai pu être témoin de plusieurs conversations téléphoniques où Jackie s'est montrée fort énervée et virulente, tantôt avec ses collaborateurs :

«C'est la deuxième fois qu'elle me fait une connerie sur le tableau des prix. Ca me fait perdre du fric à chaque fois. Elle veut que je le déduise de son salaire? Non, ce serait pas assez. Alors tu vas essayer de manager ton équipe pour qu'ils arrêtent de me faire des erreurs de débutants. A plus. »

tantôt avec ses fournisseurs :

« Vous comprenez ce que je vous dis M. Goncalvo?! Non mais répondez-moi, est-ce que vous comprenez ce que je dis?! Vous avez 2 semaines de retard dans la livraison. Si je ne suis pas livrée demain, vous pouvez la garder votre marchandise! J'en ai assez de travailler avec des gens comme vous qui ne respecte pas les délais et qui ne répondent pas au téléphone! »

Aïe...elle devait avoir de bonnes raisons de hurler. Le hic c'est ce ton qu'elle prenait, humiliant et irrespectueux envers son interlocuteur. Je veux dire, on a le droit d'être énervé contre son fournisseur mais y'a manière et manière, là c'était dégradant...et gênant pour moi. Quoiqu'il en soit, je ne connaissais pas encore Jackie, je me dis que c'est une mauvaise journée pour elle.

Ce premier jour, Jackie avait gentiment pris la peine de m'expliquer mon poste en une matinée. Une formation express, vite faite bien faite! En 3 heures, j'avais fait le tour des services importants (courrier, reprographie, toilettes, services généraux, livraison, cantine,...), assimilé les grandes lignes du monde de la Grande Distribution, appris à utiliser l'ordinateur des années 70 (qui a pris 10 minutes à s'allumer), le téléphone, la machine à café, l'imprimante et le fax.

J'ai également été mise au parfum de tous les dossiers importants en cours : collection printemps-été prochain, collection automne-hiver en cours, usines de fabrication, équipes commerciales, vendeuses, tanneries, clients etc.

Un flot d'information. Comme toute première journée de travail dans une nouvelle entreprise!

A midi on avait déjeuné à la cantine. Jackie s'était fait plaisir en prenant entrée, plat et dessert. Jambon cru melon, steak haché et frites en guise de les légumes, et tarte aux pommes. De mon côté, je sentais déjà que je n'allais pas être amie amie avec la cantoche...Tout d'abord, parce qu'en pénétrant dans ce grand réfectoire, j'ai été rebutée par une entêtante odeur de chien mouillé et ensuite parce que j'avais l'impression de voir 3 fois les mêmes plats mais avec des appellations différentes : légumes à couscous, ratatouille et légumes à la provençale. Quand même! Par la suite, j'ai découvert aussi que ces mêmes plats étaient resservis le lendemain toujours avec une appellation différente...On agrémentait cette tambouille de thon et on la nommait alors Steak de thon et ses petits légumes à la provençale, ou alors on rajoutait des oeufs toujours à cette même tambouille pour l'appeler alors « omelette à la Portugaise ».Reconnaissant tout de même la créativité et les qualités marketing de l'équipe de cuisine.

Jackie m'avait vanté les mérites de la cantoche, justifiant le fait qu'on mangeait parfaitement équilibré et pour pas cher.

Je me suis rabattue sur les oeufs à la Portugaise et un fruit.

- « 0,95€ ma belle», m'avait déclaré la caissière. C'est sûr que c'est pas cher le repas! Vive les grands groupes!

Comme je n'avais pas eu le temps de créditer ma carte repas Jackie est venue à ma rescousse :

- « Je vais payer pour les deux plateaux. Tu me rembourseras plus tard!»

Un sou est un sou. Les bons comptes font les bons....?

Durant ce déjeuner Jackie m'avait encore parlé de sa brillante réussite, de ses compétences hors du commun et de ses débuts. Comment elle est partie de rien et comment à la sueur de son front, elle en est arrivée là aujourd'hui! Bon dis comme ça ça peut paraître prétentieux mais Jackie a parfaitement su présenter les choses. Elle s'est fait dégagée de son poste d'acheteuse godasses au moment de son congé maternité (retenez bien cette anecdote) et est revenue sur un autre poste dans une autre enseigne, a écrasé les collègues (dans la bouche de jackie, ça donne : « je ne bossais qu'avec des incompétents alors mon patron a vite compris que je valais mieux ») pour gravir les échelons et tada! Poulopo...jolie marque à relancer, Jackie a la gnac qu'il faut alors elle saisit l'occas et on lui confie le challenge...quelques années plus tard, tada! Jackie = big boss de Poulopo. Ascension fulgurante.

Puis, Jackie s'est également épanchée sur son expérience avec son ancienne assistante qui avait quitté le navire plusieurs mois auparavant. Elle aurait selon Jackie décidé de se ré-orienter vers l'éducation. De toute façon ça l'arrangeait Jackie. Elles ne formaient pas un bon binôme. Son ex-assistante n'avait pas le potentiel pour être bras droit. Elle disait que son ex-assistante préférait être à quatre pattes et appairer toute la journée les centaines de chaussures retournées par les VRP en fin de saison de vente (ah bon??).

« C 'était une vieille fille qui n'avait pas vraiment sa place dans une boite comme Poulopo. Elle n'était pas débrouillarde. Elle pleurait tout le temps, elle arrivait le matin complètement déprimée. Elle me racontait qu'elle avait pleuré toute la soirée et qu'en arrivant ce matin elle est allée vomir. Elle habitait chez ses parents à 40 ans, tu te rends compte!

Ca mettait une sale ambiance de bon matin. J'en pouvais plus. C'était une gentille fille mais elle avait vraiment pas le bon état d'esprit ».

Ah oui dis donc elle n’avait pas l'air bien dans ses baskets. Jackie était tellement emportée par son récit qu'elle en oublia les bonnes manières parlant la bouche pleine de steak haché mélangé aux frites que j'observais se faire broyer dans sa bouche. Erk.

Bref, au terme de cette première matinée, j'avais donc trié le courrier, répondu au téléphone, envoyé un coursier, fait le café, appairé les chaussures, ranger des documents dans les classeurs prévus à cet effet. Tout ce qu'on vous demande quand vous êtes assistante en gros! Mais j'avais le sentiment que mon rôle allait être bien plus capital que cela comme si je n'avais vu que la partie émergée de l'iceberg.

Un bilan étrange...j'ai remarqué au long de la journée que Jackie pouvait passer de la presque possible copine sympa à la boss abrupte et un brin colérique...C'est assez désagréable comme sensation, on se ne sait pas sur quel pied danser. Par exemple, après l'avoir entendu engueuler comme du poisson pourri son interlocuteur au téléphone, je suis longuement restée avec ma question administrative sur le bout des lèvres avant d'oser la lui poser. Et là, c'est très surprenant, Jackie se transforme totalement, passant du dragon qui crache le feu à un agneau tout doux qui prend le temps de me répondre. Comme si elle ne s'était pas rendue compte que j'ai été témoin de sa crise d'hystérie. Ou alors voulait-elle tester mon sens de la discrétion, qualité indispensable à toute bonne assistante de Direction.

Et moi je me disais qu'il y'a sans doute des jours comme ça, elle est tellement débordée et certainement ultra stressée, ça peut se comprendre ces petits pétages de plomb. Bon c'est vrai que le premier jour ça fait un peu peur...

 

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