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Le patron qui avait de la merde dans les yeux
Le patron qui avait de la merde dans les yeux
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27 mai 2011

Alice au pays des merveilles

« ...un monde surréaliste, coloré et ingénu, ou bien (comme) un endroit cauchemardesque dans lequel Alice se retrouve prise au piège d'un monde où la logique a été abandonnée au profit de la folie, un monde peuplé de personnages ambigus et inquiétants. » (Interprétation du Pays des Merveilles, Wikipedia)

 

« Quels sont vos trois qualités et défauts? » me demanda ma future boss -Non sérieusement, elle vient pas de me poser cette question ?! - J'ai toujours trouvé cette question tristement scolaire, débile et inutile, illustrant de toute évidence l'absence de discernement et de profondeur de la part de celui qui la pose. Comme si je n'avais que trois qualités...

« euh...organisée, rigoureuse et polyvalente... » (j'ai bon? J'ai bon?)

Pour les défauts, je ne me souviens plus ce que j'ai improvisé mais je me rappelle très bien l'aplomb avec lequel je l'ai fait. Certainement comme tout candidat pas trop neuneu,  j'ai dû m'inventer des défauts qui se trouvent en réalité être des qualités : exigeante, perfectionniste ou un truc de ce genre! Tout le monde sait très bien qu'en entretien, on a toutes les qualités du monde et bien sûr on sait tout faire : « les tableaux croisés dynamiques? Oui bien sûr, c'est ma spécialité ».

Bref, à part la question des qualités et défauts, Future Boss ne m'avait pas assommée de questions. En fait, Future boss n'a parlé que d'elle, de sa réussite, de ses méthodes, de ses supers valeurs et de  Poulopo...Et je dois dire que son discours était très engageant. Elle  avait rudement bien planifié son entreprise de carottage de la nouvelle cible en vue : moi.

Elle est venue m'accueillir en personne dans le hall du Groupe Mandrelli auquel appartient Poulopo. J'ai compris ensuite qu'elle n'avait de toute façon personne à envoyer me chercher à sa place n'ayant pas d'équipe sur place. Future Boss a justifié son accomplissement de cette tâche ingrate par l'absence d'assistant puisque c'est le poste pour lequel je postule!

 

Dans l'ascenseur qui menait à son bureau, Future Boss toutes dents dehors, trahissant une excitation bouillonnante comparable à celle du vampire ayant trouvé sa proie (d'un Edward Cullen devant sa Bella), s'est montré excessivement courtoise, avenante, gentille, douce me mettant à l'aise quasi instantanément :

 

« vous avez trouvé facilement? »  « le trajet n'était pas trop long? » « Où habitez vous déjà? En proche banlieue c'est ça ?» « moi j'habite à 5 minutes à pieds du bureau, c'est pratique ! Ha ha ha!»...Chaque phrase ponctuée d'un rire spontané ou d’un sourire généreux et sincère. Elle transpire la joie de vivre cette femme.

 

D'un pas assuré, je pénétrais dans ce qui allait devenir mon bureau...Un capharnaüm. Difficile de décrire le lieu. Seulement des qualificatifs : bordel, sale, confus, moche, décevant, fade, étouffant, vieillot.

 

J'ai pris l'initiative de m'installer face à Future Boss qui elle avait déjà pris place dans sa chaise. Là, un monsieur est arrivé, m'a saluée d'une poignée de main et s'est installé à la droite de Future Boss. Ptêt le DRH?

Future Boss s'est alors lancé dans une allocution de 20 minutes digne des plus grands conférenciers (j'crois qu'elle n'a même pas repris son souffle).Tout en se jetant des fleurs (que dis-je des gerbes entières) Future Boss m'a dépeint un tableau idéal de la vie chez Poulopo.

 

- « Poulopo c'est une petite marque qui a été relancée par D.A. et moi-même il y a quelques années.

(ah ok lui, ça doit être D.A.).

Nous sommes partis de rien, juste du nom de la marque. Poulopo c'est le fruit de nos deux savoirs-faire et surtout de notre passion commune. Nous nous sommes investis corps et âmes dans cette grande aventure pour faire de Poulopo une marque authentique fidèle à nos valeurs et à notre éthique. Nous avons voulu faire de Poulopo le porte parole de nos valeurs qui sont la générosité, l'humanité, la simplicité et bien sûr l'authenticité. Nous nous faisons le devoir de transmettre ces valeurs à nos équipes afin que travailler pour Poulopo soit une belle aventure pour tous (…).

 

J'écoutais pieusement le discours de Jackie lorsque j'ai été soudainement extraite de ma béatitude par D.A, que je remarquais entrain de trifouiller allégrement sa narine droite de son gros index...tout en me regardant. Gênée et sentant se pointer le fou rire nerveux, j'avais baissé le regard puis me suis rendue compte que passer l'entretien à regarder la moquette marron dégueulasse n'allait pas jouer en ma faveur. J'ai alors décidé de poser mon regard légèrement au dessus de la tête de Jackie, stratégie qui m'a permis d'éviter le gros index dans la narine de D.A.et de donner l'impression de regarder mon interlocuteur dans les yeux. Ouf, j'étais sauvée...

 

- « (…) Ainsi dans sa façon de gérer l'humain, Poulopo veut aussi transmettre sa philosophie. Nous sommes tous égaux, sauf bien entendu dans les responsabilités. Ici il n'y a pas de hiérarchie poussiéreuse avec d'un côté le patron et de l'autre les employés. C'est un management humain respectueux de l'autre. Chacun a un potentiel qu'il peut laisser s'exprimer. C'est en appliquant ces principes que Poulopo se distingue des autres marques, nous sommes une entreprise humaine et unique. Nous voulons une équipe passionnée, impliquée et épanouie dans son travail. Loin des clichés de la Mode, Poulopo vous le constaterez rapidement si vous intégrez notre société, c'est plus qu'une marque, c'est un état d'esprit (...)»

Et puis on est très attachés au fait que chacun préserve sa vie perso. C'est important de pouvoir vaquer à ses occupations extra professionnelles et ne pas sacrifier sa vie pour son boulot. Il n'y a pas que Poulopo dans la vie, en tout cas il n'y a pas que Poulopo dans la nôtre! Ha ha ha! Quand on sort du bureau on a nôtre vie, on laisse le boulot derrière et on y retourne le lendemain. Il faut savoir déconnecter, faire la part des choses. C'est beaucoup plus sain et on travaille mieux ainsi.

 

Je crois que j'ai pleuré. A cet instant j'étais prête à travailler gratuitement.

 

C'est à la suite de cet émouvant et superbe discours que j'ai enchaîné sur mes qualités et défauts. Mon discours à moi a duré 52 secondes...Le temps nécessaire, je pense, à Future Boss pour constater que je savais lire et écrire et par conséquent, que je faisais l'affaire.

Future Boss m'a fait une description de poste un peu brouillon et assez vague.

- «J'ai besoin d'un bras droit sur lequel je peux entièrement me reposer. Vous comprenez qu'au vue de mes responsabilités et de la charge de travail qui en résulte, il faut que je puisse me décharger. Je ne peux plus tout faire. En réalité, c'est vous qui définirez et donnerez du relief à votre poste. Vous êtes libre de le rendre intéressant si vous en avez envie. Et si vous avez la volonté d'évoluer, avec Poulopo vous êtes tombée au bon endroit! Si vous en avez le potentiel et surtout l'envie, vous vous verrez confier des missions aussi intéressantes les unes que les autres. Vous toucherez à tous les domaines»

- « Ca me semble tout à fait passionnant » ai-je dit avec sincérité.

 

Je me suis moi-même lancée dans un numéro de charme qui, je dois l'avouer n'avait pas beaucoup à envier à celui de Future Boss : assise bien droite sur ma chaise, la tête haute, la poitrine bien en avant, mes mains délicatement croisées et posées sur la table, de la retenue dans l'attitude tout en laissant deviner la dose nécessaire de sensibilité, la voix posée et les réponses dignes du super candidat. Ensuite, restait plus qu'à flatter Future Boss ostensiblement...plus c'est excessif et parfois à la limite du foutage de gueule, plus ils aiment. Alors je suis comme ça moi, j'ai donné do-do-donné :

- « oui, oui, bien sûr, je connaissais Poulopo avant de vous rencontrer. D'ailleurs, un jour, une amie m'a avoué avoir fait une folie lors d'une virée shopping en ayant acheté une paire de Poulopo » (c'est vrai pour l'anecdote, par contre la marque j'en suis moins sûre)

- « Ah oui? » Me lâchent le duo star. « c’était quel modèle ?» toujours à l'unisson.

Et pour finir, en choeur : « C'est pas le modèle Cotcot? »

Emue devant autant de communion et ne voulant pas décevoir mes interlocuteurs, je n'ai pu m'empêcher de rétorquer : « oui c'est bien ça! Le modèle Cotcot! »

« une interview récente du styliste dans le magazine Beauté Divine? Oui bien sûr je l'ai lu. D'ailleurs faut que je reparte d'ici avec votre autographe ». Là je dois l'avouer, ça a marché du tonnerre. Styliste m'a même proposé un café et apporté une petite bouteille d'eau en plastique. Engageant vous dis-je.

 

L'aventure...c'est en ces termes que future boss définissait une expérience professionnelle chez Poulopo.
Et moi, après tout son déballage racoleur digne d'un spot pub à gros budget, j'ai cédé à la tentation, je voulais connaître ce monde merveilleux où tout le monde il serait beau et heureux de travailler. Telle une Alice au Pays des merveilles moderne découvrant le monde de Poulopo, je me suis laissée charmer. Car bien au delà de la marque de « baskets mode haut de gamme limite luxe » qu'elle représente, Poulopo promettait une passionnante aventure et surtout une rencontre humaine unique.

A 30 ans passés, je postulais pour être assistante de Direction. Après plusieurs mois de franche galère à enchaîner les entretiens, tombant tantôt sur le DirCom à l'hygiène visiblement douteuse, qu'on devine détestable et intenable juste à la manière dont il agite névrotiquement sa jambe tout le long de l'entretien, ou alors sur la responsable de service cheftaine autoritaire et hautaine qui vous glace le sang d'un regard et qui en entretien de recrutement cherche sans relâche à vous déstabiliser! J'avais hâte de retrouver un poste et d'intégrer une entreprise à taille humaine (je ne suis même pas sûre de ce que j'entends pas là...). J'avais véritablement envie de trouver la boîte sympa dans laquelle on me ferait confiance et grâce à laquelle j'atteindrai le nirvana professionnel (oui roh ça va, vous moquez pas!). Enfin, ce que je veux dire c'est que je ne suis pas carriériste du tout, les dents qui rayent le parquet, pas mon truc. J'aspirais simplement à une certaine harmonie dans ma fonction et dans mes relations avec les collègues.

L'urgence de trouver un job et le discours alléchant de Future Boss m'ont convaincue que le poste était fait pour moi!

Comme cette dernière a dû renifler un énorme potentiel chez moi, elle s'est empressée de me téléphoner quelques heures après l'entretien. Dis donc, j'ai dû faire un super effet (ça doit être mes 3 qualités). Je me souviens aussi avoir essayé de négocier un salaire en cohérence avec mon expérience. Pas carriériste mais fallait bien payer les factures quand même! Future Boss m'a rétorqué avec fermeté qu'elle ne concevait pas qu'une  assistante (ah bon? C'est pas bras droit?) soit payée à ce niveau de salaire . Pout...un peu agressive la réponse...mais bon...

J'avais besoin de beurre dans mes épinards alors j'accepte. Et puis je peux bien faire un sacrifice sur mon salaire, Poulopo en valait la peine. Je me suis laissée aller à rêver : « bras droit...bras droit... »Bon sur la fiche de paye y'a pas écrit bras droit mais c'est parce que ça n'existe pas comme métier...alors y'a écrit "assistante". C'est pour commencer et puis c'est pas très grave car j'allais intégrer la boite dont tout le monde rêve j'en étais sûre...

 

 

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