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Le patron qui avait de la merde dans les yeux
Le patron qui avait de la merde dans les yeux
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27 mai 2011

L’aventure

 

« Aventure est juste un nom romantique pour problème » Louis Lamour (auteur de western américain)

 Je m'étais donc plongée à 200% dans l'aventure. D'une part parce que Jackie savait se montrer très encourageante avec fifille mais surtout parce que du boulot, il n'en manquait pas. Le rythme infernal de l’activité a de ce fait occulté mon regard sur Jackie. Je n’avais pas le temps de m’attarder là dessus, trop de boulot.

Jackie me parlait beaucoup et abordait tous les sujets, sans tabou. C’est ainsi que je  savais quasiment tout d'elle à commencer par sa carrière fulgurante, ses enfants (2 à son actifs), ses ex., sa mère,...Elle n'était pas comme les autres patrons, ceux qui mettent une barrière entre eux et vous et qui utilisent le vouvoiement. Non, Jackie, elle, était accessible. Elle discutait avec moi et elle me faisait aussi parler...Et lorsque votre boss vous demande ce que vous avez offert à Noël à votre chéri, vous répondez. Surprise par la question vous n'avez pas d'autre choix que de répondre. Et puis, c'est anodin comme question...Alors vous répondez à ses questions justement parce que c'est anodin et parce que c'est votre boss.

Je m'en souviens, c'était peu avant Noël, Jackie avait envie de papoter :

- « Tu vas offrir quoi à ton homme pour Noël? » me demanda-t-elle souriante et avec ce regard indescriptible traduisant à la fois un intérêt réel pour votre réponse et en même temps une espèce de froideur hautaine qui vous déstabilise et qui vous oblige à répondre.

- « euh, ben...euh, je vais lui offrir un accessoire pour son ordinateur. Il est très branché ordinateur. »

- « ah ouais, d'accord...Ben moi je vais offrir une Rolex à D.A. Il est fou des montres. Tu penses que ça va lui plaire? »

ou bien 

- « Tu as fait quoi ce week-end? ». C'était la question à laquelle j'avais droit tous les lundi matin.

- « ben, on est allés chez mes beaux parents, on s'est fait une toile et puis un peu de shopping ». Bon d'accord, pas très loquace mais je ne suis pas trop portée sur le copinage avec ma boss! Alors m'épancher sur mon week end, bof bof, j'ai donc fait court et pas forcément passionnant...ça évite les questions. Et de toute manière tout ce que Jackie voulait c’était introduire son récit à elle.

- « Nous on est allés chez des copains en Corse qui fêtaient leurs 15 ans de mariage, on a fait la fête tout le week end dans leur villa. On a même eu la chance de faire le tour de l'ïle sur leur catamaran. On n'a qu'une vie! »

ou encore

- « tu le connais depuis quand ton mec? »

-  « t'as des frères et soeurs? » « Ils font quoi dans la vie ? »

- «vous envisagez de vous marier avec ton Homme? »

- « elle est comment ta maison? »

A toutes ces questions, j'aurais pu me contenter pour simple réponse d'un « qu'est-ce que ça peut te foutre? » mais alors je me serais sans doute retrouvée sans emploi. Alors je répondais...

Une fois nos vies persos dévoilées, c’est tout naturellement que Jackie enchainait en me refusant mes 10 jours de congés pour Noël. Sur un ton maternel et adoptant sa voix la plus douce possible, elle m'annonçait ou plutôt me suggérait lourdement sa décision (la pilule doit mieux passer quand « ni vu ni connu j’t’embrouille »):

« -Ca me dérange qu'il n'y ait personne au bureau pendant les fêtes. Les gens vont croire qu’on ne bosse pas. Il y a toujours les usines qui ont besoin d'infos. C’est important de pouvoir leur répondre »

Donc c'est bibi qui s'y collait. Je passais les journées aux alentours des fêtes de fin d'année toute seule au bureau comme une c... Faut dire ce qui est. Avec un total de 3 appels en 10 jours. Un appel interne, un appel pour de la pub et effectivement une usine qui a appelé pour savoir quand Jackie serait de retour de congés. Toujours est-il que j'étais fière de tenir la « maison » et encouragée par la confiance que Jackie m'accordait en me laissant gérer durant 2 semaines l'activité (bon ok pas follement débordante) au bureau, je m'occupais alors en faisant le ménage...Ah bras droit, quel pied!

Vous l'aurez compris, chez Poulopo, le privé et le professionnel se fondaient dans un seul et même moule ce qui avait pour effet de me dérouter pas mal au début. Mais j'ai fini par m'y faire, pas trop le choix. Toujours de besoin payer ses factures et surtout parce que je voyais dans ce poste l'opportunité d'apprendre un tas de choses. Je sentais que j'allais avoir un rôle central chez Poulopo.

Revenons donc à mes responsabilités qui n'ont cessé d'augmenter jour après jour. Jackie s’était rendu compte qu’elle pouvait m’en demander au-delà de mes compétences d’assistanat. Je faisais tout...Quoiqu'il en soit je considérais ça comme une opportunité unique. De me voir confier autant de projets c'était inespéré pour une assistante alors je montrais ma reconnaissance envers Jackie en en faisant 10 fois plus. Je m'appliquais de la même manière pour envoyer 100 pages de fax pour Jackie que pour créer le site web de Poulopo. Je ne comprenais pas cette réticence de Jackie pour le progrès…d’autant plus qu’on avait un scanner ultra moderne mis à dispo à chaque étage par le groupe Mandrelli. C’est assez en contradiction avec le discours qu’elle tient sur Poulopo à qui veut l’entendre. Poulope avance avec son temps, Poulopo moderne et sophistiqué…Et derrière le rideau, c’est tout poussiéreux et cracra. Malgré mes suggestions sur un éventuel pas vers le progrès (cf. scanner dans le couloir), Jackie préférait que je lui dépose sur son bureau la pile d’accusés de réception qu’avait fini par dégueuler le fax (après que je me sois tapée 45minutes d’attente et de bourrage papier). Plus sûr, pensait Jackie. Pour le gain de temps et l’efficacité, tu repasseras, pensais-je.

Je me dois également d’évoquer la piteuse connaissance de  Jackie sur les sujets informatique et internet…Madâââme voulait un site web pour faire comme les autres. A l’image de Poulopo donc. Euh…moderne, chic et mon cul sur la commode. Mais Madâââme n’y connaissait pas une cacahuète. Et surtout j’avais pas connu plus radin depuis Piscou. Alors avec trois fois rien, il fallait que le site soit dynamique, classe, chic, authentique et tout le toutim. Beau challenge pour moi…qui ai dû reporter et justifier chaque sou dépensé sur le projet. « Euh…150€/an c’est pour héberger le site (…). Tu trouves ça trop cher…euh oui oui t’as raison, c’est beaucoup trop cher, ok bon bah j’vais négocier. ». « Tu veux de la musique ? Bah un morceau connu c’est assez cher parce qu’il y a des droits d’auteur tu sais (…). Mais sinon pour 30€/mois t’as des morceaux libres de droits (…). Oui ok j’te fais une sélection assez pop rock. » De la musique libre de droit pop et rock ! Mais elle croyait que j’allais trouver quoi à part de la musique d’ascenseur ? Inutile de vous dire qu’elle a trouvé tous les morceaux nuls mais Picsou bis s’est rabattu sur le morceau le moins pire parce que faut pas déconner, elle n’allait pas payer des droits d’auteur ! Quand je pense qu’elle a briefé l’agence web en disant que Poulopo était une marque haut de gamme qui marchait du tonnerre ! Beaucoup moins haut de gamme la démarche commerciale…

Puis il a fallu veiller à ce que son site soit visible. Et là, catastrophe. Pendant 2 semaines, j’ai cru apprendre à lire à un bonobo.  Impossible de faire entrer dans la pourtant « grosse » tête de Jackie le fonctionnement du référencement sur internet. Jackie bornée comme pas deux voulait absolument qu’on dégage les bannières pub qui apparaissait « avant » Poulopo dans les résultats de recherche sur Google ou Yahoo. « Mais ils apparaissent avant nous dans le bloc gris en haut ! Ils n’ont pas le droit de faire ça, comment ça se fait ? ». Et je répétais inlassablement la même explication « non en fait, ils n’apparaissent pas avant nous dans les résultats de recherche, ce sont des liens sponsorisés. Ils payent pour apparaître dans ce bloc. Mais tu vois, dans les résultats de recherche on apparaît bien en premier ». A cela, Jackie répondait sur un ton qui me laissait croire qu’elle me prenait pour une conne :  « mais non, tu vois bien qu’on n’est pas les premiers làààààà » perçant mon écran de son index. Bon euh, Bonobo laisse tomber…

C’est dans ces conditions et cette ambiance déroutante pourtant que Jackie me faisait croire qu’elle m’avait prise sous son aile. Comme si elle voulait me transmettre son savoir et me faire progresser professionnellement. Exaltation, encouragements, promesses de reconnaissance sur fond de duperie. Mais j’étais prise dans le filet…

En contrepartie j'apprenais tellement. J'étais en charge d'un tas de dossiers, du plus au moins ingrats et je m'exécutais sans broncher. A chaque missions qu’elle me confiait, la pression était tellement grande, mon désir de ne pas décevoir Jackie et mon appréhension des représailles en cas d’échec étaient tellement grands que j’accomplissais avec brio toutes ces tâches. Au dessus de moi planait depuis mes premiers jours chez Poulopo sa réputation et ses ex-assistantes…C’est ça qu’elle a réussi à instaurer en moi Jackie, une pétoche intérieure toujours présente mais qui ne se voyait jamais sur mon visage.

Je me déplaçais aux quatre coins de la France pour recruter le personnel de vente alors que je n'avais aucune expérience dans le domaine. C’est vous dire la confiance que Jackie m’accordait. La première fois, je suis partie en province pour une session de recrutement de vendeuses avec Jackie. Ensuite elle m’a laissée gérer l’affaire toute seule.

Cette fois là, avec Jackie, nous nous sommes retrouvés dans une agence d'intérim à recevoir les potentiellement (mal)heureuses recrues : trop moches, trop grosses, trop bas de gamme, pas assez chics, pas le bon look, pas assez cultivées, trop vieilles, trop jeunes...autant de critères qui ne me semblaient pas très conventionnels.

Et c'est au cours de ces sessions de recrutement qu’elle excellait dans sa discipline favorite : la mythomanie aigüe

J'étais férue des moments où elle commençait à présenter Poulopo aux candidates. Génial, 20/20! J'étais sur un nuage, je m'y voyais moi dans ce monde merveilleux...J'acquiesçais de la tête à chacune de ses déclarations.

« Poulopo c'est pas seulement une entreprise, c'est des valeurs, bla bla bla beeeeuuurrrkkk... ». Les valeurs, parlons-en. Celles qu’elle envoyait à toutes les sauces : l'authenticité d'abord. La marque, D.A.et elle : authentiques. Les employés : ne seront jamais aussi authentiques, beaux et forts qu’eux (ben oui, ça n'existe pas) mais ça fera l’affaire. Maintenant que j'y pense, je ne sais pas trop ce qu’elle entendait par authenticité. Je crois que ça m'a plu parce que je m'imaginais que cela rimait avec sincérité. Mais Jackie était plus attirée par le terme que par son sens. Alors "pout"...

Puis vient le tour de l’'éthique...synonyme d'une certaine morale. Mais où était-elle? Comment se traduisait-elle? Rien vu moi! Pas de morale quand elle humilie un employé devant tous les autres. Pas de morale quand elle prétend faire du développement durable et qu’elle ment (meuuuuuh non on n'utilise pas de tasses plutôt que des gobelets en plastiques!!). Pas bien.

Poulopo c'est une boite pas comme les autres. Pas de management poussiéreux ultra hiérarchisé...pas de ptit chef pour fliquer (mais un grand). Vous êtes autonomes, on vous fait confiance et vous gérez votre travail comme des grands. On travaille tous dans la bonne humeur et on a tous l'envie de donner le meilleur de nous même. Chacun est encouragé à donner son avis et ses idées sur la collection Hiver 2013 des groles Poulopo ou sur les catalogues Poulopo. Mais attention, tu donnes ton avis seulement s'il correspond à celui de D.A.et Jackie, t'as compris? Sinon, t'as pas de goût ou pire t'es bête!

Poulopo c'est des perspectives d'évolution. Oui tu évolues à Poulopo si tu te donnes à fond (se donner à fond c'est bosser jusqu'à 22h au bureau 365 jours par an!). Mais attention, si tu obtiens le convoité titre de Responsable, sache qu'il n y a qu'une seule chose qui change chez Poulopo : la pression que tu avais déjà monte d'un cran. Bah oui, comme t'es responsable ou cadre, ben Jackie elle attend de toi à ce que tu bosses comme si t'avais des actions dans la boîte. Pour le reste, augmentation, vrais responsabilités, tu peux toujours courir... Les autres, ceux que tu appelles les petites mains, sont finalement très très bien lotis. Tu ne leur demandes rien, d'ailleurs, tu leur adresses à peine la parole. Tout compris eux.

J'y ai cru, à tous ses beaux discours...longtemps même. Elle faisait tellement bien illusion.

Lorsque j'ai (enfin!) fini par la démasquer, en entretien de recrutement j'avais la nausée en l'écoutant déblatérer autant de bêtises. Alors à la fin je pensais à ma liste de courses ou au prochain épisode de Desperate Housewives. Autant dire que je n'acquiesçais plus vraiment...

Bon, je ne serais pas juste envers Jackie si je ne disais pas qu’elle m’a accordé plusieurs augmentations et qu’elle mettait de temps en temps en avant mon efficacité...au début. Comme j'étais fière! Mais avec l’équipe formée et mon poste disloqué, chouchoute je ne suis plus. Adieu privilèges! D'autres chouchous ont fait leur apparition. Moi j'ai un train d'avance, étant arrivée bien avant tout le monde...je sais comment elle procède. Quand on est chouchou, on ne voit que le côté Dr. Jekyll de Jackie. C'est là que Jackie nous accorde des moments privilégiés

Parmi mes « responsabilités » il y avait aussi l’appairage des chaussures par milliers (à quatre pattes dans le bureau, mes genoux s'en souviennent encore!) en me relevant toutes les 30 secondes pour traiter tous les appels téléphoniques (oui, je faisais aussi standardiste). Je mettais alors ces milliers de godasses dans d'énormes cartons et les chargeais ensuite dans des chariots pour aller les entreposer au sous-sol qui se trouve plusieurs étages en dessous de Poulopo. Et pour compliquer un peu ma tâche l'accès à ce sous-sol est un vrai labyrinthe : descendre trois étages, remonter un étage pour prendre l'autre ascenseur au bout du couloir et redescendre d'un étage pour prendre l'ascenseur qui va au rez-de-chaussée et traverser tout le bâtiment pour enfin atteindre le sous sol!).

L'heure d'après j'étais en réunion brainstorming pour la stratégie marketing à venir de Poulopo! J'allais accueillir les supers spécialistes de la communication, j'ai nommé les Directeurs d'agence de pub, je jouais mon rôle d'assistante en proposant le café et je m'installais ensuite autour de cette table où la réunion avait commencé. Je prenais des notes (et faisais 2-3 gribouillages pour tuer l'ennui) comme une bonne élève pour ensuite faire toute la coordination des formidables projets qui en émergeaient.

Ces réunions qui duraient des heures avaient le don de me stresser un peu plus que je ne l'étais déjà. Au vue de ma charge de travail, assister à ces séances de bavardages inconsistants, où tout pouvait être dit en 10 minutes top chrono, ne faisaient que me retarder dans mes différentes tâches : organiser ma journée de recrutement en province, réserver des billets d'avion et hôtel pour Jackie pour sa participation au prochain salon international, faire le planning des nouvelles vendeuses, traiter le courrier qui s'accumule depuis 1 semaine, valider toutes les factures, refaire le site web, réfléchir à une nouvelle charte graphique pour Poulopo etc. Et je me suis vite rendue compte que Jackie n’intégrait pas tous ces projets en cours. En fait elle s’en foutait royal. Elle ce qui l’intéresse c’est que ce soit fait ! Et fissa !

Les protagonistes de ces réunions, avaient la bise chaleureuse et sincère. Ils passaient 30 minutes à se congratuler pour tout et rien : « ta nouvelle montre Cartier? Félicitations! » « Ton nouveau blackberry? Waouww, félicitations! » « Tes dernières vacances aux Seychelles? Trop génial!! Et félicitations bien sûr! » « tu fais construire ta maison au bord de la mer ? Superbe ! » Quant à Jackie, elle, elle avait toujours le droit aux compliments les plus puants d'hypocrisie : « Jackie, toujours suuuupêêêêêrbe, tu as une mine respleeeeeenndissaaante. » « Bonjour Jackie, comment vas-tu? Très classe Jackie comme d'habitude.... » « Poulopo ne serait rien sans toi ». Une fois ces déballages de crétineries faits, ces messieurs et mesdames consentaient enfin à poser leurs derrières satisfaits par autant de léchouilles sur leur chaise respectif pour passer à l'acte 2 de la crétinerie. Et là, ça parle, ça parle. La réunion pouvait débuter de bon matin, je terminais toujours par me sentir vous savez comme après un énorme repas, assommée, en apesanteur, comme sur du coton. Et là tout l'art réside dans le fait de montrer que vous êtes passionnée par le sujet tout en assouvissant votre besoin de piquer un roupillon. A force d'entraînements, on y arrive! Parfois, la torpeur était telle qu'il me fallait trouver un moyen de m'échapper de là. Soutenue dans ma tâche par une Jackie et ses grouillots absolument hypnotisés par leur baratin, je me levais avec assurance et retournais tout naturellement à mon bureau l'air de rien histoire de souffler un peu. J'y restais assez de temps pour me désaltérer d'une boisson fraîche et pour traiter 2-3 appels et emails. Il y avait aussi la solution facile du prétexte des aisances...C'est de cette manière que je retournais à mon bureau laissant mes copains et copines de réunion à leur trip publicitaire...parfois je ne revenais que peu avant la fin de la réunion, l'air très impliquée, je me ré-asseyais et reprenais mes notes au milieu de ces individus, fort heureusement pour moi, toujours absorbés par leur bobards.

 

Pour Jackie, accomplir de manière intensive autant de tâches de 9h à 19h en moyenne (avec 15 minutes de déjeuner à la cantoche ou sandwich en main devant l'écran), pour une assistante, c'était faire preuve de polyvalence.

Un autre exemple de polyvalence ? Allez un dernier. Jackie voulait que Poulopo ait la classe et la notoriété des grandes marques de chaussures et de prêt à porter. D’ailleurs elle ne le voulait pas, elle voyait Poulopo au même niveau. Sauf qu’elle ne mettait pas tous les moyens en œuvre pour. En effet, Picsou, à l’approche de Noël, durant ma première année chez Poulopo, a eu la bonne idée de décorer les vitrines de ses 2 pauvres boutiques. « comme le font les Galeries Lafayette et le Printemps » m’avait-elle dit. Alors à 2 semaines des vacances de Noël, ça lui a pris comme une envie de pisser. « Tu voudrais pas être chef de projet pour l’habillage des vitrines ? Il faudrait imaginer une ambiance, un style, quelque chose de sympa. Mais faut faire vite, Noël approche ? ». C’était ça son brief. Tout pourri. Et l’air de rien d’ajouter « chef de projet » pour donner de l’importance à la corvée. Pas étonnant qu’avec un tel brief, je ne sois revenue vers elle dans la foulée avec mes questions. Et la plus importante était celle du budget. Jackie, s’agissant d’argent, plus précisémment de dépenses, s’est toujours montrée indisposée par le sujet, rendant ma démarche très désagréable et me donnant le sentiment de lui piquer ses sous. Elle adoptait une attitude fuyante, et j’observais alors son corps se raidir comme un balai puis elle finissait par me répondre vaguement, de manière inaudible. Comme si le fait de ne pas répondre concrètement à ma question « quel est le budget pour ce projet ? » allait minimiser ou mieux encore, éviter, la dépense. Hallucinant. La polyvalence je suis pour, mais entendons nous sur le terme. Polyvalence ne rime pas inévitablement avec surcharge de travail, si? Et puis, avec un minimum d'orientation dans les projets quand même. Le moins que je puisse dire c'est que Jackie n'avait vraiment pas fait preuve de pédagogie...

Donc avec 500€ de budget en poche, je partais à la recherche de déco de vitrine semblables à ceux des grands magasins. Demandez à Jean Paul Goude si c’est pas du challenge ça. C’est alors que Jackie est venue me suggérer de trouver des ardoises sur lesquelles écrire « J-O-Y-E-U-X N-O-E-L ». Des ardoises qualitatives, perforées dans les coins pour pouvoir y passer une ficelle et ainsi les suspendre au dessus des vitrines, format 30x40cm, pas trop lourdes et lisses. Dis comme ça, ça a l’air simple mais dans les faits, fallait le faire, trouver une quarantaine de tablettes en ardoises (et pas des ardoises d’écoliers !). Comptez 2 vitrines par boutique que je multiplie et autant d’ardoises que de lettres qui composent «Joyeux Noël » que je multiplie par deux (2 vitrinesx2 boutiques vous me suivez ?).  

Je veux dire par là que si vous êtes recruté au poste de Responsable Marketing, je comprends qu'on puisse exiger de vous une efficacité immédiate dans le domaine...mais en ma qualité d'assistante de Direction, j'aurais aimé un peu plus d'assistance quant au projet de refonte d'un site web ou bien à la gestion d'une campagne de pub pour Poulopo.

De même que lorsqu'on est Responsable Ressources Humaines, votre employeur est en droit d'exiger de vous une gestion des ressources humaines sans faille....moi, simple assistante, je devais recruter, sans directive, des tops vendeuses et gérer tout l'administratif (plannings, congés, primes, absences, interim, maladies...) sans aucune connaissance en droit du travail.

Ou encore, lorsque vous êtes responsable de la production, vous avez obligation de connaître toutes les étapes de la chaîne de production et votre connaissance technique n'est plus à prouver. Moi je devais coordonner les usines de production, les tanneurs et valider les peausseries, les prototypes et accessoires pendant l'absence de Jackie (qui est toujours en RDV). Avec pour seul conseil de sa part : faire preuve de bon goût. La pression vous connaissez?

Elle me confiait mille projets et me laissait me débrouiller par moi-même. J'ai appris sur le tas avec une petite boule dans l'estomac qui grossissait jour après jour. C'est sûr, j'apprenais dans tous les domaines, j'étais l'interface privilégié entre ma boss et tous les autres. J'avais ce sentiment d'être indispensable à la boite. Mais le stress s'est installé pour de bon. Et il était coutume pour Jackie, après m'avoir laissé porter un projet pendant 3 semaines, de balayer tout mon travail d'un simple : « non en fait c'est pas ça que je voulais. Il faut recommencer. » ou bien « ah non j'ai plus le budget pour ça, laisse tomber »...

Tous les matins, je découvrais une vingtaine de post-its éparpillés un peu partout sur mon bureau. Des tâches à effectuer venant de Jackie : « faire tableau des matières » « demander devis pour mobilier » « chercher un stand pour Poulopo » « rappeler Corinne (qui c'est????) » « réserver billets pour Milan (à quelle date? Vers quelle heure?!). Bien que Jackie travaillait face à moi, elle me bombardait de ces petits bouts de papiers tout au long de la journée et en ma présence. Il faut se l'imaginer. Elle est derrière son écran, je la vois qui prend son critérium et un post-it, puis gribouiller rapidement quelque chose pour ensuite tendre son bras et me coller le dit morceau de papier là où bon lui semblait...alors parfois j'en retrouvais derrière mon écran d'ordinateur ou sous mon téléphone (Comment? Tu n'as toujours pas fait le catalogue de la collection? Mais je t'avais mis un post it pourtant!).Curieux comme procédé...mais à ça aussi je me suis habituée.

Jackie exigeait de moi un travail irréprochable. Elle s'absentait souvent avec D.A.me laissant le bureau à moi toute seule. J'appréciais cette autonomie et le fait de ne pas avoir quelqu'un derrière mon dos constamment. Je quittais le bureau assez tard et je continuais à travailler chez moi, week end y compris. Pour que Jackie continue à être satisfaite de mon travail et pour qu'elle ne me hurle pas dessus comme je la voyais faire régulièrement maintenant avec les autres. Quand je l'entendais hurler sur les collègues, je me sentais favorisée, un peu l'élève modèle. Nananananèreeeeuuuu...Alors ça ne me gênait pas vraiment qu'elle humilie untel ou untel. C'est pas de ma faute à moi s'ils sont incompétents! Le revers de la médaille c'était que pour continuer à disposer de cette présumée« liberté », il me fallait être l'assistante parfaite. Alors j'acquiesçais à toutes les exigences de Jackie.

Les mois passent et moi, à force de me donner à fond, je commençais vraiment à sentir la fatigue m'envahir. Faut dire, j'avais pas mal d'heures supp' au compteur.  Je travaillais chez moi soir et week-end, je faisais suivre ma ligne du bureau sur mon portable ainsi que mes mails...

Alors pour me récompenser, ma boss me passe cadre! Waouhh! La reconnaissance! C'est pour me permettre de gérer mes horaires avec plus de libertés dit-elle. Et d'ajouter que lorsqu'on atteint ce niveau de responsabilités, c'est tout à fait logique de passer cadre. Alors, là, j'étais sciée. Je passe cadre! Quelle promotion! Alors je ferme les yeux sur le reste, sur tout le reste....c'est pas grave de passer son week-end entier à la maison à faire des travaux manuels en vue de décorer toutes  les boutiques pour Noël (petit budget Poulopo), c'est pas grave de travailler jusqu'à 1h du mat' chez moi pour préparer le lancement de la collection, c'est pas grave de rester au bureau jusqu'à 23h pour terminer un dossier alors que toute l'équipe dîne dans ce restaurant que j'avais réservé justement pour le lancement de collection, c'est pas grave que Jackie m'appelle sur mon portable perso régulièrement pour le boulot...Mon travail est primordial pour le bon fonctionnement de Poulopo. J'en suis persuadée.

Puis je me prends parfois des réflexions, d'un ton un peu sec. Ca arrive. On peut être de mauvaise humeur. Mais bon, je commence à me poser des questions sur les pratiques de Jackie. La fatigue grandit grandit...

En fin de compte assistante de Jackie c'était être à la fois « assistante bobonne» :

- ben oui, tu portes d'énormes cartons à la noix et tu te tapes les couloirs, les étages, et le sous sol. Tout ça sous le regard désolé de Jackie beaucoup trop radine pour embaucher des manut' pour la journée!

- Tu fais le ménage parce que le bureau c'est le bordel, D.A.et Jackie n'étant pas très regardant sur le rangement...

- Tu accueilles les visiteurs, tu fais des tableaux sur xls., tu réponds à tous les appels téléphoniques, tu réserves les billets d'avion, de train , tu vas chercher le courrier, tu traites tous les courriers administratifs à la noix (abonnements téléphoniques, loyers des boutiques, relances de non paiement de la facture d'eau, devis de ravalement de façade de la prestigiiiieeeuse boutique parisienne,...).

et c'est aussi être chef de projet polyvalent :

-« tiens tu me refais le site web? C'est pas urgent, c'est pour demain! »

- « tiens tu t'occupes de la déco des boutiques pour Noël la semaine prochaine? Un brief? Bah...que ce soit beau !»

- « tiens tu nous fabriques un stand pour la participation de Poulopo aux salons professionnels à l'international? Un brief? Bah que ça reflète l'image de Poulopo !»

- « et pis tiens, t'as qu'à y aller aussi sur les salons »

- « tiens tu recrutes des vendeuses »

- « tiens tu refais la charte graphique de Poulopo. Un brief? Oh et puis non »

Alors vous comprenez la pauvre assistante que j'étais, à force et malgré toute la volonté du monde, elle finit pas craquer. Parce que non seulement Jackie elle vous file trois tonnes de boulot mais en plus si c'est mal fait, tu te prends une réflexion qui t'anéantit sur place : « c'est pas encore fait ça? » « c'est pas très qualitatif comme résultat » « mais n'importe quoi!! (voix de crécelle)» «T'as rien compris du tout!! » j'en passe et des meilleures. Bah tu t'attendais à quoi Jackie? Tu nous balances un projet que nous, on a jamais eu l'expérience (parce qu'au départ on a postulé pour être assistante nous) et tu reviens nous voir après t'imaginant qu'on aurait tout torché fastoche en 2 jours? Et en plus tu nous aboies dessus?

Le problème qu'elle a Jackie c'est qu'un jour c'est blanc et le lendemain c'est noir. Alors même si t'essaies de remplir ces tâches et ben tu avances sur un sujet un jour et le lendemain tu recules, tu avances, tu recules, au gré des humeurs de la Reine Mère.

En réalité Jackie elle est gentille avec vous pour pouvoir mieux vous maltraiter après. Ca me rappelle un peu ces femmes qui se font battre par leurs maris et qui ne portent pas plainte. Une fois qu'ils leur ont bien pété le nez, ils s'excusent en offrant un bouquet de fleurs et la femme battue, elle passe l'éponge. Même si ça fait mal quand même un nez pété.

C'est comme ça que Jackie procédait...j'avais alors droit à des journées de congé offerts gracieusement par Jackie. La relative confiance et les confidences de Jackie savaient me donner une importance illusoire.

Par exemple, l'activité de Poulopo se développant, j'ai participé au recrutement de toute l'équipe commerciale qui allait être cette fois-ci basée au Siège. Aux entretiens j'étais assise à ses côtés et elle me présentait comme son bras droit. Je posais mes questions comme un recruteur professionnel. A la fin de l'entretien Jackie faisait les debriefs.

« t'en penses quoi? » me demandait Jackie après les entretiens.

« Moi je la trouve super, elle est cultivée et a de l'expérience dans le domaine, elle me semble sincère dans son discours »

« j'aime pas son look, elle fait ringarde. Et ses dents, t'as vu ses dents? J'aimerais voir d'autres candidates »

Bon premièrement, moi je parlais des compétences du candidat, Jackie me parlait de ses fringues et de son physique. Mais surtout elle n’en avait rien à f....de mon avis. J'ai fini par comprendre que ma présence lui servait de faire valoir. Je servais en quelque sorte à mettre une distance supplémentaire en le candidat et Jackie. Ca lui conférait un côté inaccéssible. Moi, assistante de grand chef Jackie. Jackie very important person. Toi, candidat en recherche d’emploi.

Bref, après avoir tant donné de ma personne à Poulopo, éreintée, je reprends mes esprits et j'arrive à la désagréable conclusion que je me suis faite avoir et pas qu'un peu.
Ben oui exploitée, une boîte de rêve mirage, un D.A. et une Jackie siphonnés grave. On vous demande toujours plus sans se soucier de savoir si c'est pas trop. Et on joue sur l'affect pour vous tenir en laisse.

Et puis maintenant nous étions près d’une dizaine au siège…mes tâches ont commencé à se répartir. On avait quelqu’un pour les RH, quelqu’un pour la production, etc. Une équipe s’était formée.

Alors je suis restée bobonne, un poste plus vraiment bien défini…j’avais l’impression d’être le concierge d’un hôtel. Quand même après avoir tout fait, j’ai vécu ça comme une régression. Je m’imaginais que Jackie allait me promouvoir après que j’ai fait preuve de tant de compétences et d’investissement…que nenni. Je pense qu’à partir de ce moment là Jackie a commencé à se poser la question de savoir quoi faire de son assistante…

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